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vendredi 21 août 2015

source:http://la-brochure.over-blog.com/

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Pablo Neruda c’est le Chili pourtant un autre poète est aussi grand et il est inconnu : Nicanor Parra. A 97 ans, il reçoit le prix Cervantes en Espagne demain lundi, et c’est pour moi un bel événement. Nicanor c’est l’anti-poète, c’est la famille Parra. Ce fils de paysan alla jusqu’aux USA pour y étudier la physique et la mécanique, sans jamais oublier les traditions de son pays. Je me souvenais avoir écrit un texte en son honneur il y a longtemps, et en tapant sur mon ordinateur Nicanor voici ce que j’ai trouvé et j’en suis très heureux. 22 avril 2012. JPD

Le bonjour de Nicanor

Avec l’année 2005, Pinochet va devoir enfin passer devant les juges chiliens (1). Sans vouloir minimiser les mérites du juge Guzman, comment ne pas noter que l’événement se produit après que les dirigeants des USA aient publiquement lâchés l’ex-dictateur, tout en rappelant l’implication de la CIA dans l’organisation du coup d’Etat de 1973. La presse étatsunienne a même cru utile de révéler les multiples comptes bancaires qu’Augusto avait chez l’Oncle Sam ! Pour le cas où, comme en cette occasion on n’apportera pas en faveur de Pinochet les témoignages d’estime du pape Jean Paul II, je me charge de vous communiquer ce « poème » que le pape lui dédia le 18 février 1993 : « Au général Augusto Pinochet Ugarte et son épouse distinguée Madame Lucia Hiriart de Pinochet à l’occasion de leurs noces d’or et en gage d’abondantes grâces divines, il m’est agréable de donner, ainsi qu’à leurs enfants et petits-enfants, une bénédiction apostolique spéciale ».
En fait ce détour par le Chili, tient à d’autres poèmes plus facétieux. Je l’entreprends pour évoquer un autre chilien, de 90 ans lui aussi, et qui se veut le poète anti-poète. Un lecteur de cette chronique me demanda le nom du poète évoqué à la fin du film de Patricio Guzman sur Salvador Allende et, malgré mes recherches, je n’ai pu trouver à ce jour la réponse. Même en demandant à un Chilien bien informé comme Victor de la Fuente ! S’il s’était agi de Pablo Neruda, la question n’aurait pas été posée vu sa notoriété. J’en ai déduit qu’il s’agit de Nicanor Parra l’aîné d’une famille, d’artiste dont Violeta qui écrivit les paroles de la chanson : Gracias a la vida …
En 1992, Nicanor Parra put voyager en France et crut enfin qu’il allait être traduit dans ce pays mais voilà, il n’en est rien. En 1964, s’il avait envoyé 5000 dollars aux éditions Seghers, il aurait pu obtenir ce privilège qu’il refusa. Alors, comment lui rendre hommage ici ?
Après quelques recherches sur Intenet, je retiens son discours de réception du prix Juan Rulfo à la Foire du livre de Guadalajara au Mexique en novembre 1991. Ce discours est bien sûr une suite de poèmes où l’auteur a tenté de condenser tout son art anti-poétique.
Il prétend que s’est un ami qui lui suggéra de sortir du discours académique vu que plus personne ne croit aux idées en cette glorieuse « fin de l’histoire ». Il nomme même cet ami : Carlos Ruiz Tagle.
Premier point : quelques lignes sur « tous les types de discours qui se réduiraient en fait à deux, les bons et les mauvais, le discours idéal étant celui qui ne dit rien tout en paraissant tout dire ».
Deuxième point : il se trouve que pour les discours mauvais il suffirait à l’auteur de plagier Hitler, Staline ou le souverain pontife au risque même d’entendre ensuite quelque chose de pire ! Faute d’opter pour cette voie (voix) Nicanor Parra pouvait-il tenter devant l’immense auditoire de la Foire du livre, un bon discours pour remercier le jury d’avoir pensé à lui ?
Il propose alors un possible début de discours qu’il fait suivre par un autre tout aussi possible tout en rappelant que le cadavre de Marx respire encore.
Mais voilà, Nicanor ne peut joindre les deux idées « c’est à cause de ça qu’il se fit poète sinon il aurait été homme politique, philosophe ou commerçant ».
Pour entrer enfin en confiance avec l’auditoire il pensa judicieux de lire ce poème de quelqu’un d’autre :
« Je suis Lucila Alcayaga / Alias Gabriela Mistral / D’abord j’ai obtenu le Prix Nobel / Puis le National / Bien que je sois morte / Je me sens mal / Parce que jamais on ne me donna de Prix Municipal ».
Et alors Nicanor se sentit autorisé à lire quelques uns de ces poèmes de circonstance le premier portant pour titre, le titre d’un livre de Juan Rulfo, Pedro Páramo, le livre le plus considérable de toute la littérature. Nicanor se souvient avoir croisé une fois Juan Rulfo qui jugea utile de couvrir d’éloges pour un poème … dont il n’était pas l’auteur. Nicanor s’arme toujours de dérision même devant le vaste auditoire de la Foire de Guadalajara (la rivière des pierres). Il prétend ne pas pouvoir faire l’éloge de l’immense Juan Rulfo et pourtant il s’y emploie en quelques vers soignés qu’il achève ainsi : « En dehors de José María Arguedas et de l’incommensurable cholo Vallejo, peu sont ceux avec qui, il est comparable ».
Puis il parle d’émotion, de l’émotion à la réception de ce prix « qui le laissa bouche ouverte avec un doute : va-t-il pouvoir la refermer ? ». Il eut la sensation d’avoir gagné à la loterie sans acheter de billets !
Mais, soyons sincère, espérait-il ce prix ? « Les prix sont comme les dulcinées du Toboso, plus nous pensons à elles, plus elles s’éloignent ». En fait ce prix, il le reçoit au nom de tous les poètes anonymes car ce prix récompense le silence, le silence qui fut celui de Juan Rulfo et qui est le sien puisque les deux n’écrivirent que le strict nécessaire.
Vient ensuite la question la plus matérielle : « que vais-je faire de tant d’argent ? » Va-t-il avec retard pouvoir donner 5000 dollars aux éditions Seghers pour obtenir une traduction en français ? Hélas les éditions en question n’existent plus ! Il va s’occuper de sa santé et de la construction de sa tour d’ivoire endommagée par un tremblement de terre. Ils disent terremoto en espagnol et ils viennent d’inventer maremoto pour ce que partout on appelle tsunami. Le mot a été repris de l’italien et on comprend alors un peu mieux comment moto s’est accroché à terre. Venant du latin moto veut dire bouger d’où bien sûr la moto … En France nous aurions pu dire « tremblement de mer » mais notre langue tendant à devenir fossile laisse à d’autres les talents de l’invention. Et par exemple à Nicanor Parra. Or il nous prévient : « L’espagnol est une langue morte ou moribonde dans le meilleur des fromages, et c’est ainsi que Rulfo rédigea son Quijote dans le parler du 16éme siècle ». En tant que poète, il eut sur les poètes conventionnels, en y incluant les anti-poètes, l’avantage de ne jamais écrire en vers, ni même en vers appelé libre qui est le plus artificiel de tous d’après un chat appelé Ezra Pound »
Puis Nicanor évoquera ses propres idées écocommunistes : « Revenons à la démocratie, pour que se répète le film ? NON : pour voir si nous pouvions sauver la planète et sans la démocratie on ne sauve rien. Individualistes du monde, unissons-nous avant qu’il ne soit trop tard ».
Il chantera le terme « huellas » avec lequel j’ai quelques problèmes. Je n’arrive pas à en garder la trace même si je sais qu’il vient du mot « hollar » qui veut dire « fouler » dans le sens de fouler les pas de quelqu’un d’autre. Il citera Rimbaud puis résumera son propos. Il est écologiste et remercie explicitement les membres du jury et parmi eux Julio Ortega le Péruvien. Je l’ai croisé un jour, soucieux d’interroger Alfredo Bryce Echenique.
Et comme le dit Nicanor à la fin de son discours : Mai Mai peñi, qui en langue mapuche signifierait quelque chose comme « hola, hermano » et peut-être en français, « salut à tous ».
Date inconnue en 2005 JPD
(1)     Pinochet est mort sans passer devant des juges

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